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Chambresourde

Lourd sommeil et sautoirs emmêlés

La Cité Invue

- Sur une idée de Mina LE MORVAN - Musique: Debussy -

C'est drôle.

Je sens la rugosité des briques sous ma main, mais je ne vois rien.

Je sens une odeur de goudron, mêlée au fumet chaleureux de pâtisseries sortant d'un four, mais je ne vois rien.

J'entend des rires, des pas qui claquent, un brouhaha profond et régulier, mais je ne vois rien.

Alors, c'est bien vrai. Quelle étonnante magie.

La vie m'entoure. Quand je ferme les yeux, je peux imaginer la ville, celle sous mes pieds, sous mes doigts, celle qui souffle dans mes cheveux, qui froisse mes vêtements.

Son âme m'environne, mais quand j'ouvre les yeux... Je ne vois rien. Rien d'autre qu'un terrain vague, bossu et battu, qui s'étend à l'infini et lèche l'horizon tout autour de moi. Un ciel bleu criard surplombe ce paysage à la diversité inexistante, uniforme. Un sol pierreux, monochrome lui aussi.

C'est drôle. Je ne vois pas la ville. Pourtant, elle est là. Elle chante, elle respire, elle croustille, mais je ne la vois pas.

Quelle étonnante magie.

Bon, je ne peux pas rester plantée là à rêvasser alors que la vie suit son cours tout autour.

Je dois me renseigner. Tout d'abord, trouver le Bar. C'est là-bas que je découvrirai la prochaine étape.

Je vais suivre ce mur avec ma main. J'espère que je ne bousculerai personne. J'espère qu'ils m'éviteront, qu'ils me verront, eux.

J'avance alors, curieusement sans encombre. Je ferme les yeux pour rester concentrée. Voir cette morne plaine trompeuse me désoriente.

La ville file autour de moi, avec une étonnante vitalité. Je saisis ses sursauts, là un parfum fruité, ici le clapotis d'une fontaine, plus loin le rire grondant de deux hommes assis à une terrasse, plus près l'odeur intense d'un étal de poissons.

Je cartographie l'invisible. Cela m'exalte. J'aimerais me perdre dans les rues que je devine, me faufiler dans les boutiques et en ressortir les poches pleines de souvenirs que j'imagine clinquants, je visualise les visages des badauds, les nuances des façades.

Mais... Je suis ici pour une raison précise. Je ne dois pas me laisser emballer par cette ivresse. Me concentrer. Rester méthodique.

Je quitte à regret une avenue qui semble accueillir un marché sous un soleil radieux, et me faufile dans un bar. À la texture de la porte, aux trois marches, à l'épaisse moquette (qui doit être rouge, j'en suis certaine), au comptoir lambrissé, je sais que je ne me suis pas trompée.

Les conversations des clients ronronnent. Derrière le comptoir, je devine le patron du Bar, sifflotant. Son odeur d'après-rasage et de tabac m'est rassurante et familière.

" - Excusez-moi, ce serait pour un daiquiri framboise, s'il vous plaît."

Le patron arrête de siffloter. Il me répond, d'une agréable voix pataude.

" - Ah, vous êtes enfin arrivée. Je commençais à m'impatienter. Alors comme ça, vous ne me voyez pas?"

(suite éventuelle! ;) )

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